4. Se référant à l'opinion de GRAF (Das Darlehen mit Gewinnbeteiligung oder das partiarische Darlehen, besonders seine Abgrenzung von der Gesellschaft, thèse Zurich 1951, p. 49
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et 71), le Tribunal cantonal considère qu'il n'y a pas prêt partiaire lorsque le bailleur de fonds s'engage à participer aux pertes de l'entreprise. En pareil cas, la convention n'est pas un prêt de consommation, mais autre chose; si elle n'a pas les caractéristiques d'un autre contrat, elle ne peut être qu'une société simple. L'animus societatis existe du seul fait que le bailleur de fonds participe non seulement aux bénéfices, mais aussi aux pertes de l'entreprise.
a) Le prêt partiaire diverge du prêt de consommation classique en ce qu'il comporte un élément aléatoire: la rémunération du prêteur dépend du succès d'une entreprise ou d'une opération déterminée de l'emprunteur. Le prêteur, pour être à même de vérifier l'exactitude du calcul de sa rémunération, jouit d'un certain droit de surveillance sur l'activité de l'emprunteur. Mais il n'en devient pas pour autant l'associé. Il n'entend pas participer à la gestion ni aux responsabilités de l'entreprise. Il ne répond pas envers les créanciers de l'emprunteur. Il lui manque ainsi l'animus societatis, soit la volonté de mettre en commun des biens, ressources ou activités en vue d'atteindre un objectif déterminé, d'exercer une influence sur les décisions et de partager non seulement les risques et les profits, mais surtout la substance même de l'entreprise. Cette volonté résulte de l'ensemble des circonstances et non pas de la présence ou de l'absence de l'un ou l'autre élément (cf. CROME, Die partiarischen Rechtsgeschäfte, Fribourg-en-Brisgau 1897, p. 377; EGGER, Die rechtliche Natur der stillen Beteiligung an einem Unternehmen, dans Ausgewählte Schriften und Abhandlungen, Zurich 1957, II p. 207 s.; SOERGEL/SIEBERT, Kommentar zum Bürgerlichen Gesetzbuch, n. 14 ad vor § 705). En déduisant l'animus societatis du seul engagement du demandeur de participer aux pertes de l'entreprise, l'autorité cantonale a méconnu l'importance des conditions de l'existence d'une société, notamment de la volonté commune des partenaires d'assumer les obligations sociales que leur imposent les art. 530 ss. CO.
b) En l'espèce, si la participation du demandeur lui conférait la qualité d'associé, il serait non seulement copropriétaire pour 3/5 de l'immeuble constituant la fortune sociale, mais aussi codébiteur pour la même part des dettes hypothécaires. Or il n'a jamais prétendu rien de tel. La défenderesse, seule propriétaire de l'immeuble, inscrite à ce titre au registre foncier, a dû assumer toute la charge et les risques de la construction, toute la responsabilité
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envers les tiers des dettes de l'entreprise. Cette situation est incompatible avec l'existence d'un contrat de société. Le demandeur n'a jamais allégué non plus que la défenderesse aurait été propriétaire à titre fiduciaire seulement des 3/5 de l'immeuble, ce qui paraîtrait d'ailleurs invraisemblable au regard de l'ensemble des circonstances.
c) La participation aux profits et aux risques n'est pas propre aux seules sociétés; c'est une caractéristique commune à tous les contrats partiaires, d'ailleurs consacrée en dehors du droit des sociétés, dans certains cas par le législateur (art. 275 al. 2 et 3 CO pour le colonage partiaire; art. 322 a CO pour le contrat de travail avec participation de l'employé au résultat de l'exploitation; art. 389 al. 2 CO pour le contrat d'édition avec participation de l'auteur au résultat de la vente), dans d'autres par la jurisprudence (RO 23 II 1063 consid. 3 pour le contrat de courtage; RO 83 II 38 pour le contrat d'agence).
Il est vrai que le Tribunal fédéral a considéré dans l'arrêt non publié Scherk c. Thorens et Filipinetti, du 7 juillet 1953, que "le critère qui permet de distinguer entre le contrat de prêt, même partiaire, et le contrat de société est la question de la participation aux pertes". Mais il est revenu sur cette affirmation trop absolue dans l'arrêt Herren c. Poncet, du 7 mai 1968; la demanderesse, dame Herren, s'était engagée à diffuser un ouvrage édité par la défenderesse moyennant une commission d'un tiers du produit des ventes, une fois les frais d'édition couverts; le Tribunal fédéral considère que "la rémunération de dame Herren est aléatoire et lui fait partager dans une large mesure les risques et les profits de l'entreprise. Cet élément, caractéristique de tous les contrats partiaires, ne suffit cependant pas pour qu'il y ait société" (RO 94 II 126).
La participation aux risques et pertes ne saurait constituer le critère décisif pour déterminer la nature du contrat, puisqu'elle est commune à la société et aux contrats partiaires (BECKER, n. 9 ad art. 530 CO; BROSSET, Le prêt partiaire, FJS 754 p. 1 A; EGGER, op.cit., p. 207 et 202, avec référence à EUGEN HUBER, Bericht zum ersten Vorentwurf zum rev. OR, p. 30 s.; SOERGEL/SIEBERT, loc.cit.). GUHL/MERZ/KUMMER (Obligationenrecht, 6e éd.), que le Tribunal cantonal cite à l'appui de sa thèse, n'expriment pas une opinion contraire; ils se bornent à mentionner la participation aux pertes comme un élément parmi d'autres de la société (p. 525 s., 552).
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